C.S : L'éternité

Eth, Nell et la Terre


- Nell ? Nell, on voit la Terre !
- Que… ? Quoi ! Déjà !
Nell bondit de son lit. Première erreur. Emporté par son élan, elle s’écrasa au plafond avec un bruit mou.
- Attention, tu vas… !
Trop tard. Réflexe pur, elle fixa ses tentacules bleues translucides aux poignées de sécurités. Partant de ses épaules, elles la relièrent au plafond aussi sûrement qu’un filin d’Aélonore.
Deuxième erreur.
- Eth ! Aides moi ! Ça brûle ! glapit-elle en pivotant sur ses hanches de telle façon que ses pieds heurtèrent le plafond. Elle les crocheta à la poignée du hublot, y agrippa ses mains et tira de toutes ses forces. Les muscles se tendirent sous sa peau azur et son geste, brutal, lui arracha les bras. Grognant de douleur, elle allait tout de même répéter son mouvement quand son ami atterrit auprès d’elle et l’obligea à lâcher prise.
- Qu’est ce que tu fais ? Aïe !
Sans écouter ses protestations, Eth plaqua ses mains sur les appendices douloureux et s’efforça de les écarter de la barre froide. Ils étaient crispés dans une tension que la souffrance accentuait, mais il réussit tant bien que mal à les dérouler et Nell se dégagea vivement. La jeune s’efforça de reprendre une contenance mais ne put s’empêcher de frotter ses membres engourdit. Peu a peu, la sensation de brûlure qui l’étreignait se dispersa.
- Je…Merci, dit-elle avec reconnaissance. Mais tu aurais pu me réveiller moins brusquement !
Son ironie se teinta de méfiance quand elle reprit, prudente.
- On ne voit pas la Terre. C’est impossible.
- Eh, il fallait bien que tu te lèves ! lança Eth. J’ai une surprise…
Le visage de son amie s’illumina.
- C’est quoi, dis ?
- J’ai stoppé le vaisseau !
- Ton épave ? Mais pourquoi ?
Eth excusa la remarque d’un geste. L’humour piquant de Nell, de même que sa curiosité, étaient redoutables ! Et puis…
- Un champ d’astéroïdes ! triompha t’il.
- Oh, Univers…Je vais mourir de la main de mon unique compagnon ! Pourquoi me fais-tu ça ? A moi, pauvre être, innocente…
-Tu n’est pas vraiment innocente, Nell ! Et tu es la première à le dire…
- Galaxie, mon Univers… Que lui ais-je donc fait ! Mais je mourrais à ton service, dans l’honneur et…
- Et bien, tu te surpasses, aujourd’hui !
- Toi aussi ! Enfin, si on s’en sort vivant… Comment peux tu m’assassiner ici ? Alors qu’on a traverser la moitié de l’éternité, au moins ?
Elle lut la réponse dans ses yeux. Et leur joie éclata, irrésistible. Pourquoi ? Parce qu’après quatre ans de voyage, s’ils ne s’amusaient pas un peu, cela deviendrait vite ennuyant ! Et puis Eth avait eut le temps de s’entraîner, il effleurait les astéroïdes mais ne les touchait plus. Enfin, plus maintenant ! Sans compter que la Terre serait bientôt en vue… Enfin !
- Je vais aux commandes. Ce champ d’astéroïdes ne va pas nous défier longtemps !
- Cette fois, épargnes moi ! Ces gros cailloux n’ont qu’une hâte : que tu t’écrases à leurs surfaces !
- Ce n’était pas ma faute, protesta joyeusement Eth en se propulsant vers la porte. Aller, viens !
Nell le regarda s’éloigner avec bienveillance, puis se tourna vers le hublot.
Brillant d’une lueur pure, des milliards d’étoiles la fixaient, paisibles. Lumineuses sur le néant, fières, elles se dressaient pour rendre honneur et espoir à l’humanité. Sages.
Nell ne se lassait pas de ce spectacle qui la remplissait de bien-être. C’était celui-la qui l’avait convaincue d’embarquer. Et c’était au cœur de celui-ci que leur vaisseau se tenait, immobile. Respectueux, il n’osait frémir devant le vide, éternité où la notion de temps était superflue.
Mais bientôt il s’élancerait et défierait l’espace, ignorant la grandeur de l’Univers. La fine coque de métal zigzaguerait entre les planètes et les astéroïdes, effleurait les galaxies, approcherait les astres au plus près de leur puissance, et bien qu’ébloui, repartirait aussi vite. Point de métal sombre parmi la lumière. Bout d’acier fondu dans des traits purs.
L’Univers l’avait déjà oublié.

Parabole Vécue

"En des temps anciens, trop vieux pour que les hommes s'en souviennent, il existait un mage immortel. Il vivait au plus reculé des Carpates, dans une grotte dissimulée par ses sortilèges. Parmis ses grimoires et ses fioles, il était heureux. Il avait un renard roux comme seul compagnon. Cependant, un jour, sa compagnie ne lui suffit plus..."
"Mais la magie n'existe pas, maître."
Le sage esquissa un sourire.
"Et d'où tu tiens cette information, mon enfant ?"
"C'est mon père qui me l'a dit."
"Ton père est-il philosophe ?"
L'élève secoua la tête derrière la flamme du feu de camps.
"Un jour donc, reprit le conteur, cet animal de compagnie ne lui apporta plus assez de satisfaction. Il décida alors de descendre au village le plus proche à la recherche d'une femme qui l'accepterait lui et ses formules magiques. Après s'être présenté à plusieurs villageoises de son âge, toutes méfiantes envers la magie, incomprise et redoutée, il rencontra une demoiselle, beaucoup plus jeune que lui. Elle n'était pas spécialement belle, mais elle dégageait un charme si naturel et intense qu'il lui fut difficile d'y résister. Et quel était sa joie quand il apprit qu'elle avait toujours rêvé d'apprendre la magie !"
"Il se marièrent ?" l'interrompit un autre élève.
"Non, ce n'est pas vraiment dans les moeurs des magiciens. Ils vécurent ensemble dans le bonheur, lui continuant ses sortilèges et elle l'assistant avec amour. Ils s'aimaient tous les deux éperdument..."
"Mais quel est le problème, alors ? demanda la premier élève, car j'imagine que cela ne va pas se terminer comme ça."
"En effet, les années passèrent, tout aller pour le mieux; enfin presque. Un matin, en se levant, le mage remarque que sa bien-aimée avait changé."
"Changer ? Comment ça ? Elle s'était transformée ?"
"Pas tout à fait. Il s'aperçut seulement qu'elle avait vieilli. Pas vieilli subitement, mais le temps avait fait son oeuvre. Et oui, rappelez-vous, le mage était immortel. Heureusement il lui restait encore beaucoup de temps à vivre avec elle. Seulement, à partir de ce jour-là, il prit conscience d'une chose: en raison du caractère incontrôlable du temps mieux vaut vivre heureux durant une seconde que rempli de chagrin pour l'éternité."

Une fois ses élèves partis, le sage se leva du sol et se dirigea derrière un rocher. Il sortit une photo en noir et blanc, rongée sur les bords, moisie en partie.
Sur celle-ci il était représenté aux côtés d'une femme, devant des fioles de potions et des livres ésotériques.
Une larme vint nettoyer la surface de la photo.

Figurine

-Salut... je m'appelle James Strike. je viens pour l'annonce, vous savez, le boulot
d'explorateur!
-Hum ? vous avez des qualifications ?
-Des tas !
Je sortis quelques diplômes et mon CV. L'employeur lut à haute voix :
-Hmmm... "Diplôme de lanceur de sorts de niveau neuf...", "Diplôme de grand maître des jeux
de plateaux..." . Vous êtes impressionnant. Mais celui-là est spécial.
-Je le sais. Je m'en fiche.
Je me levai de ma chaise. Il faisait sombre, la nuit était tombée. Je regardai par la
fenêtre. On ne voyait rien, absolument rien. On aurait pu se douter qu'il y avait d'autres
habitations pas très loin.
Je me retournai et rejoignis mon futur employeur.
-Hmmm... je lis ici que vous êtes dans la profession depuis environ 4 ans. C'est énorme de
nos jours.
-Oui, mais je suis resté très jeune. J'ai très bien été traité.
-Bon, d'accord... Vous êtes pris, monsieur...
-James Strike.
Il me tendit un contrat que je signai rapidement. Il reprit ensuite le papier que j'avais
signé et me dit :
-Bien, vous commencerez demain à 9 heures. L'heure de fin de travail n'est pas fixe, mais je
pense vous voir libéré vers 11 heures. Vous rendrez ensuite à 15 heures pour finir à 17
heures environ.
Je lui fis signe que j'avais bien compris d'un signe de tête et rentrai chez moi, pour
dormir un peu.
Le lendemain, vers 9 heures, j'étais fin prêt pour ma première journée. Ma tenue de
plastique me tirait un peu, mais rien de grave. Je me saisis d'une vieille épée, la première
que j'ai eue, et d'un bouclier fait de la même matière que mon armure.
-Bon, qu'ils viennent...
Mon employeur me fixa. Il prit la parole :
-Que Dieu vous bénisse, Mr Strike.
-Ne vous inquiétez pas, je ne mourrai sûrement pas aujourd'hui...
Je me dirigeai vers le plateau, la lumière m'aveuglant. Les murs moisis étaient éclairés par
quelques torches, mais je ne voyait pas très loin. Je me saisis d'une torche, prêt à
combattre à chaque instant.
Soudain, un monstre de niveau 1 me sauta dessus en grognant. Je l'esquivai, et lui portai un
coup rapide. Il s'effondra et je récupérai sur lui quelques pièces d'or, utiles pour
d'autres quêtes.
Je pénétrai dans la pièce suivante, sombre. Soudain, les lumières s'allumèrent, vives.
Aveuglé, je ne vis rien venir, et un coup fâcheux me fit voler de trois cases vers le mur. JE
me relevai rapidement et lançai mon meilleur sort sur le monstre, ce qui le congela
littéralement.
-JIM ! C'est l'heure de manger !
Une voix féminine, puissante, semblant venir de partout à la fois, me résonna dans les
oreilles. Puis, un tremblement de terre. La journée était terminée... Je me sentais
retourner à mon point de départ, comme d'habitude...
L'éternel recommencement...
Tel est mon sort... Le sort d'une figurine de jeu de rôle...